L'émeute de la prison
" Cette année là, j'entrais dans une année d'incarcération supplémentaire. Depuis 6 ans, je me levais tous les matins aux aurores et tout cela pour quoi ? Une vie de prisonnier : obéir constamment aux ordres de tous ces matons que je haïssais un peu plus chaque jour. Autour de moi, des faux durs passant leur temps à se chamailler mais aucun n'en menant large dès qu'une personne de l'encadrement les rappelait à l'ordre. Un sentiment d'absurdité et de colère sourde grimpait en moi, aucun d'entre eux ne semblait saisir les enjeux de ce bourrage de mou intensif que nous subissions jour après jour. L'heure de la révolte allait sonner, j'étais aguerri désormais, j'étais en CM1...
À quoi apprendre les tables de multiplications à l'ère de la calculatrice ? À quoi bon apprendre que le mont-blanc
fait 4810m alors qu'avec l'érosion, cela sera bientôt faux ? À quoi bon apprendre où se trouve la source de la Seine alors que j'y mettrais jamais les pieds ? Et surtout (!) à quoi bon apprendre
par cœur combien de km fait la Loire ??? À qui cela pouvait bien servir de savoir un truc pareil ??
Pour prendre le contrôle de la maison d'incarcération, il me fallait d'abord organiser une émeute suivie d'une
guérilla contre les surveillants, lancées depuis la cour de la prison afin de renégocier les conditions de détention, voire de ma libération. Deux tours de cour de récrée avec pour leitmotiv "Qui
c'est qui veut jouer aux cowboys et aux indiens ?" fut suffisamment fédérateur pour rassembler mon armée. Une simple partie de "chou, fleur" désigna les deux camps destiné à s'opposer. La
bataille monstrueuse s'engagea. De mémoire de cour de récrée, on avait encore jamais vu pareil affrontement ! Mon émeute était là ! Une énorme montagne de chairs entremêlées. Cowboys et indiens
sautant joyeusement sur la masse informe. Quelques uns, écrabouillés sous les poids cumulé des autres, commencèrent à pleurer... Une opération d'une telle envergure entraînait des pertes
inévitables, ce n'était pas le moment de faiblir ! Un traître à la liberté tenta un appel à la raison, je le dissuadais d'un coup de pied sauté. Du coin de l'oeil, j'aperçus les surveillants qui
poursuivant leur ronde firent volte-face et revenaient vers nous. Soudain ils se précipitèrent dans notre direction ! C'était le moment que j'attendais ! L'énervement général était à son
paroxysme, la vrai bataille allait pouvoir commencer ! J'haranguais les troupes : "Les cowboys et les indiens, relevez-vous ! Charge de cavalerie contre les surveillants
!!"
Et ce fut... la débandade généralisée... Le respect de la fonction ? La peur de la sanction ? Il n'y eut guère que 2 ou 3 gars suffisamment énervés pour mener une percée à coup poings et de pieds dans les surveillants mais le reste... Des moutons!!
Pour ma part, j'échappais de justesse à la rafle en rampant le long du couloir vitré des WC, masqué aux yeux des
surveillants par un minuscule muret de 20cm. Au moins mon plan de repli était le bon ! Ils étaient tous là, punis, alignés contre le mur, les mains sur la tête comme attendant leur peloton
d'exécution. Une quarantaine de gars et de filles. Alors que je passais les troupes en revue, les raillant au passage, (voilà ce qui arrive lorsqu'on refuse
de monter au front), le collabo que j'avais déjà sanctionné tenta de me mouiller en me désignant comme l'instigateur de la bagarre. N'ayant pas été appréhendé sur les lieux, il en
fut pour ses frais pour dénonciation calomnieuse. À l'évidence, l'émeute était un échec ! Mais j'avais perdu une bataille, pas la guerre, les deux cowboys et l'indien qui avaient
osé s'attaquer aux surveillants étaient assurément des hommes de valeurs. Là où une armée
fantoche peut échouer, un petit commando motivé peut peut-être réussir ! Mais ceci est déjà une autre histoire... (histoire qui me coûta, un léger
décollement de l'oreille, prodigué par mon arch-némésis : la directrice, mais bon à la guerre comme à la guerre...)"
Loïck
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